Antérieurement à la loi du 10 juillet 1965, la pratique avait admis la possibilité de constituer au bénéfice d'un copropriétaire un droit de jouissance privatif (ou exclusif) sur une partie commune de l'immeuble, sans que celle-ci perde sa qualification de partie commune. La loi du 10 juillet 1965 n'évoque pas un pareil droit mais la pratique s'est perpétuée et la jurisprudence l'a adoptée et en a défini les règles.
La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, brièvement complétée sur ce point par l'ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis, est venue consacrer les principes jurisprudentiels en les énonçant à l'article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965.
Le droit de jouissance privative ne peut résulter d'un état de fait, par exemple de la configuration des lieux, il doit être constitué juridiquement.
Il peut être concédé par autorisation précaire et révocable et pour une durée limitée, ou n'être accordé qu'à titre de simple tolérance, auxquels cas l'assemblée générale des copropriétaires peut se prononcer, pour l'accorder ou le révoquer, à la majorité de l'article 24 (Civ, 3ème, 2 mars 2010, n° 09-13090). De tels droits ont un caractère personnel et ne sont pas cessibles (Civ, 3ème, 6 septembre 2018, n° 17-22180).
En revanche, le droit de jouissance exclusive d'une partie commune constitué comme accessoire d'un lot privatif, est de nature contractuelle et institué en règle générale par le règlement de copropriété, plus rarement par une décision prise par l'assemblée générale à la majorité de l'article 25 (par exemple, Civ, 3ème, 26 mars 2020, n° 19-10210) ou à l'unanimité s'il en résulte une atteinte à la destination de l'immeuble (article 26 dernier alinéa de la loi du 10 juillet 1965). Cette décision peut mettre à la charge du copropriétaire bénéficiaire du droit certaines charges, notamment d'entretien.
Les exemples les plus typiques sont les droits privatifs sur les toitures-terrasses et jardins attenant aux maisons d’habitation. Ainsi, bien que profitant à un copropriétaire, le droit de jouissance privatif sur une partie commune n’est pas attaché à la personne de ce copropriétaire mais au lot lui-même dans la composition duquel il entre à titre accessoire.
S'il est accessoire à un lot de copropriété, le droit de jouissance privatif d'une partie commune ne peut en être dissocié (Civ, 3ème, 1er mars 2006, n° 04-18547). Il ne peut être loué ou cédé à un tiers si ce n’est avec le lot lui-même (Civ, 3ème, 25 janvier 1995, n° 92-19600).
Ce droit présente un caractère réel, découlant de la nature du lot privatif, et un caractère perpétuel sauf stipulation contraire de l'acte constitutif. Il s'exerce le plus souvent sur une partie commune de l'immeuble (Civ, 3ème, 15 décembre 2016, n° 15-22583 ; 25 février 2016, n° 15-13105 ; 6 mai 2014, n° 13-16790). Mais le droit peut aussi s'exercer sur la partie privative d'un autre lot (par exemple, Civ, 3ème, 7 juin 2018, n° 17-17240).
Il résulte de ce double caractère, réel et perpétuel, du droit de jouissance exclusive que :
- Le droit ne se perd pas par le non-usage ou par l’absence d’utilité ;
- Il ne peut, en dehors de la renonciation expresse du propriétaire du lot, disparaître que par la cessation du régime de la copropriété de l'immeuble ou par une expropriation pour cause d’utilité publique ; il ne peut être révoqué (Civ, 3ème, 2 décembre 2009, n° 08-20310) ;
- En cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, la perte du droit réel ouvre droit à indemnisation (Civ, 3ème, 13 juin 2019, n° 18-15999) ;
- Le droit peut s’acquérir par usucapion (Civ, 3ème, 4 juillet 2007 n° 06-19.260 ; 9 juillet 2013, n° 12-21390 ; 22 octobre 2020, n° 19-21732) ;
- Le titulaire du droit a qualité pour agir en justice en défense de ce droit (Civ, 3ème, 15 décembre 2016, n° 15-22583) ;
- L’acte constitutif du droit est soumis à la publication foncière (Civ, 3ème, 27 mars 2008, n° 07-11801) ;
Le bénéficiaire du droit de jouissance exclusive est protégé par le principe de l'inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée et que le syndic ne peut pénétrer sur la partie commune objet du droit de jouissance qu'avec l'accord du copropriétaire ou autorisé en justice (réponse du Garde des Sceaux à une question écrite, JO Sénat 27 août 2020, page 3802).
Pourtant, le droit de jouissance exclusif sur une partie commune n'est pas un droit de propriété et ne peut pas constituer la partie privative d'un lot de copropriété (Civ, 3ème, 6 juin 2007, n° 0613477), quand bien même il serait affecté d'une quote-part des parties communes correspondant aux charges d'entretien et de conservation supportées par le titulaire du droit (Civ, 3ème, 27 mars 2008, n° 07-11801 ; 4 mai 1995, n° 93-11121).
Ainsi, un lot qui ne serait composé que d'un droit de jouissance exclusif sur une partie commune et d'une quote-part des parties communes devrait être annulé, une telle annulation, logiquement, ne faisant pas disparaître le droit de jouissance mais privant son titulaire de sa qualité de membre du syndicat des copropriétaires.
Il en résulte encore que ce droit de jouissance privatif ne peut être cédé en tout ou partie au propriétaire d'un autre lot qu'avec l'accord du syndicat des copropriétaires (Civ, 3ème, 17 décembre 2013, n° 12-23670).
Ces jurisprudences se retrouvent dans le nouvel article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 30 octobre 2019 : « Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l'usage ou à l'utilité exclusifs d'un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires. Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d'un lot. Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte ».
Dès lors que l'objet du droit d'usage privatif demeure une partie commune il en résulte, conformément à l'article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965 que le copropriétaire qui veut effectuer des travaux sur les parties communes dont il a la jouissance privative doit solliciter l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires (par exemple, Civ 3ème, 23 janvier 2020, n° 18-24676 et une très nombreuse jurisprudence).
En préalable et le cas échéant, il convient naturellement de trancher la question de savoir si la surface litigieuse constitue une partie privative ou est l'objet d'un droit de jouissance exclusif. Les règlements de copropriété et les états descriptifs de division sont parfois confus ou contradictoires. Le juge peut être appelé à les interpréter. Il le fait souverainement (par exemple, Civ, 3ème, 7 janvier 2021, n° 19-19459 ; 6 février 2020, n° 18-18825) sauf s'il les dénature (par exemple, Civ, 3ème, 14 mars 2019, n° 17-33285 ; 12 avril 2018, n° 17-11765 ; 1er février 2018, n° 17-10482).
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