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La destruction de la chose louée



L'article 1722 du code civil, non modifié depuis le code civil de 1804, dispose que « si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement ».


Par ailleurs, l'article 1741 du code civil énonce que « le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements ».

 

Le texte de l'article 1722 distingue donc selon que la chose louée est détruite en totalité ou partiellement.  La destruction par cas fortuit de la chose louée en sa totalité entraîne la résiliation du bail de plein droit. En revanche, sa destruction partielle par cas fortuit ouvre au seul locataire le droit de demander ou une diminution du montant du loyer ou la résiliation du bail. En cas de destruction totale, la question du coût d'une reconstruction est inopérante (Civ, 3ème, 28 avril 2009, n° 08-15678).


En effet, les articles 1719 et 1720 du code civil obligent le bailleur à entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, mais non pas à la reconstruire en cas de perte totale ou partielle (Civ, 3ème, 15 novembre 2005, n° 04-17470 ; Civ, 3ème, 14 octobre 2014, n° 13-18477), quand bien même, le bailleur aurait perçu une indemnité de la part de son assureur.

 

Selon une jurisprudence ancienne et constante, cet article 1722 s'applique aux baux commerciaux (notamment Civ, 3ème, 1er mars 1995, n° 93-14275 Publié).


Toutefois, cette disposition n'est pas d'ordre public (Civ, 3ème, 24 janvier 2001, n° 99-14426 ; Civ, 3ème,  17 décembre 2015, n° 14-23385 : les parties peuvent déroger à l'application de l'article 1722 du code civil par une clause contractuelle claire et précise).


Il se déduit du rapprochement des articles 1722 et 1741 du code civil que si l'immeuble loué est détruit en totalité, il est mis fin au bail même en l'absence de cas fortuit si la destruction est le fait du bailleur ou du preneur ou d'une personne dont ils doivent répondre (Civ, 3ème, 4 avril 2001, n° 99-12322 : « Vu les articles 1722 et 1741 du Code civil ; Attendu qu'il résulte de ces textes que le bail prend fin de plein droit par la perte totale de la chose survenue par cas fortuit ou même par la faute de l'une des parties sauf les dommages et intérêts pouvant être mis à la charge de la partie déclarée responsable de cette perte »).


La destruction totale ou partielle

 

1.  Saisi d'un litige sur la mise en œuvre de ces dispositions légales, le juge peut avoir à se prononcer sur le caractère total ou partiel de la destruction alléguée. L'arbitrage est parfois délicat. La jurisprudence a dégagé les principes suivants :


Il est des situations limites où l'hésitation est permise sur le caractère total ou partiel de la destruction total. Si, par exemple, un incendie a entraîné la destruction du couvert de l'immeuble, il ne peut y avoir de difficulté.


Ou encore, la destruction sera considérée comme totale si le bâtiment principal d'un atelier de mécanique générale est détruit alors que d'autres bâtiments secondaires sont intacts (Civ, 3ème, 19 mars 1997, n° 95-16719 Publié) ou si le locataire commercial poursuit son activité sur certains locaux compris dans l'assiette du bail (Civ, 3ème, 9 décembre 2008, n° 07-18444). Mais, dans d'autres cas, les juges auront recours à une expertise pour se déterminer. Ils peuvent d'ailleurs prendre en compte des éléments postérieurs au sinistre, par exemple le coût réel des travaux de reconstruction (Civ, 3ème, 19 décembre 2012, n° 11-26076 Publié).


Un arrêt récent de la Cour de cassation (Civ, 3ème, 8 mars 2018, n° 17-11439 Publié) récapitule de manière didactique deux règles dégagées par la jurisprudence : « Vu l'article 1722 du code civil, Attendu, selon ce texte, que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; Que doit être assimilée à la destruction en totalité de la chose louée l'impossibilité absolue et définitive d'en user conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède sa valeur ». Confère aussi l'arrêt du 20 décembre 2018, n° 16-23449 Publié.


Ainsi, l'impossibilité, provoquée par le sinistre, d'exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle doit être assimilée à une destruction totale.


Ainsi encore, une destruction partielle doit être assimilée à une destruction totale si le coût des travaux de réfection excède la valeur du bien sinistré (notamment Civ, 3ème, 9 décembre 2009, n° 08-17483 Publié).


La question de savoir si l’immeuble peut être réparé ou doit être considéré comme détruit est, bien entendu, une question de fait. Il s’agit d’apprécier le coût des travaux nécessaires au regard de la valeur vénale du bien (notamment, Civ, 3ème, 15 février 1995, n° 92-19712).


Si la destruction des lieux est imputable à une faute du propriétaire, ce dernier ne saurait prétendre que la remise en état est hors de proportion avec la valeur actuelle du bâtiment (Civ, 3ème, 30 septembre 1998, n° 96-17684 Publié). Un bailleur de locaux à usage commercial et d’habitation, tenu d’assurer une jouissance paisible de la totalité des lieux loués, peut être condamné à reconstruire un des immeubles donnés à bail qu’il a démoli (Civ, 3ème, 25 janvier 2006, n° 04-18672 Publié).


À la destruction matérielle des locaux, la jurisprudence a parfois assimilé la survenance d'un événement juridique rendant impossible l'exploitation des locaux conformément à leur destination contractuelle (Civ, 3ème, 12 mai 1975, n° 73-14051, Publié : l'interdiction d’exploiter un commerce dans une zone de rénovation urbaine résultant d’un décret est assimilée à la perte de la chose louée ; Com, 30 octobre 2007, n° 07-11939 : « Attendu qu'ayant retenu que les baux s'étaient trouvés résiliés de plein droit par la perte de la chose louée résultant de l'arrêté administratif de fermeture du centre commercial en date du 12 janvier 1992, et que cette perte avait le caractère fortuit dès lors que les circonstances à l'origine de la décision administrative ne pouvaient être imputées à une faute du bailleur, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve ni violer l'autorité de la chose jugée, a légalement justifié sa décision ». Mais on ne peut voir dans ces décisions une jurisprudence stable et pérenne.


La fermeture obligatoire des commerces peut-elle être assimilée à une destruction partielle de la chose louée ?

 

2.  La question de savoir si la fermeture administrative des commerces dits non essentiels durant la crise du Covid-19 doit être assimilée ou non à une destruction partielle de la chose louée et autorise le preneur à suspendre le paiement des loyers pour la période considérée, divise en l'état les juridictions qui ont rendu de nombreuses décisions en sens contraire, tant au fond qu'en référé ou en matière d'exécution.


Ainsi, la cour d'appel de Paris, dans deux arrêts du 12 mai 2021 de la formation compétente en matière de référé, énonce qu'il « est constant qu’en raison de l’interdiction de recevoir du public la société (preneuse) a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l’absence de toute faute du bailleur étant indifférente », la suspension du paiement des loyers étant donc justifiée (n° 20/16820 et 20/17489).


À l'inverse, la cour d'appel de Versailles, dans un arrêt du 6 mai 2021 (n° 19/08848), écarte l'application de l'article 1722 du code civil dans ces circonstances aux motifs notamment  que le local loué n'est détruit ni en totalité ni partiellement, qu'il n'est pas allégué qu'il serait affecté d'une non-conformité et que l'impossibilité d'exploiter est liée à l'activité exercée et non à l'état des locaux. Mais, le même jour, une autre formation de la cour d'appel de Versailles a statué en sens contraire.


En juillet 2021, le tribunal judiciaire de Chartres a pris l'heureuse initiative de saisir pour avis (articles 1031 et suivants du code de  procédure civile) la 3ème chambre de la Cour de cassation. Malheureusement, l'instance dont le tribunal était saisi ayant été close par un désistement, la Cour de cassation a dit qu'il n'y avait plus lieu à avis (décision du 6 octobre 2021), laissant ainsi les juridictions du fond continuer de diverger et l'insécurité juridique perdurer.


En équité toutefois, mais on sait que l'équité n'est pas une source de droit, il serait juste que les pertes provoquées par les fermetures administratives de commerces soient partagées entre le bailleur et le preneur.


La destruction par cas fortuit

 

3. Le cas fortuit, comme la force majeure, supposent un événement indépendant de la volonté des parties au contrat de bail, lesquelles ne doivent pas l’avoir provoqué. Il en est ainsi d’un incendie, sous réserve des circonstances. La résiliation de plein droit intervient au jour du sinistre ou de l'événement fortuit.


Au cours du bail, si la chose louée est détruite par cas fortuit, que la destruction soit totale ou partielle, il n’y a lieu à aucun dédommagement par application de l'article 1722 du Code civil (voir par exemple : Civ, 3ème, 9 déc. 2009, n° 08-17483). 


Encore faut-il qu’il y ait bien cas fortuit, à savoir que la destruction ou la perte de la chose louée (à laquelle est assimilée l’impossibilité de jouir conformément à la destination du local : Civ, 3ème, 8 mars 2018, n° 17-11439) ait pour origine un événement indépendant de la volonté des parties et ne pouvant être imputé à aucune d'elles. 


Or, selon la cour de Cassation, la cause non déterminée d’un incendie ne caractérise pas un cas fortuit (Civ, 3ème, 12 juillet 2018, n° 17-20696, Publié : « ... l'incendie qui se déclare dans les locaux d'un colocataire et dont la cause n'est pas déterminée ne caractérise pas un cas fortuit et que le bailleur est responsable envers les autres locataires des troubles de jouissance du fait de l'incendie... ».


La ruine du bâtiment par vétusté est un cas fortuit au sens de l'article 1722 à la condition qu’il n’y ait pas de faute ou de défaut d’entretien à la charge du bailleur : Civ, 3ème, 3 octobre 1978, B n° 297 ; 6 mars 1984, B n° 59 ; 7 juin 2000, n° 98-20379.


Mais il n’appartient pas au bailleur de rapporter les preuve d’opérations normales d’entretien qu’il aurait effectuées (Civ, 3ème, 3 avril 2001, n° 99-17939). Il incombe au preneur de prouver la faute du bailleur.

 

4. La résiliation de plein droit du bail afférent à une chose détruite par cas fortuit exclut toute indemnisation du preneur (Civ, 3ème, 13 juillet 1994, n° 91-10568 ; Civ, 3ème, 29 septembre 1999, n° 98-10237 Publié). L'indemnité d'éviction n'est pas due au locataire (Civ, 3ème, 29 septembre 2005, n° 03-13997 Publié ; Civ, 3ème, 1er avril 2008, n° 06-20067).


Il a été jugé que cette règle, qui peut pourtant avoir des effets dramatiques pour le preneur à bail commercial sans que ce dernier en porte la moindre responsabilité, n'est pas contraire à l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que le preneur. En effet, selon la logique de la Cour de cassation, le preneur dont le fonds de commerce a disparu dans un incendie, ne peut pas prétendre au versement d'une indemnité d'éviction qui ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre et n'était pas entrée dans son patrimoine (Civ, 3ème, 29 juin 2011, n° 10-19975 Publié).


En revanche, si la perte totale de la chose louée est imputable à une faute du bailleur, celui-ci est tenu d’indemniser le locataire (par exemple, Civ, 3ème, 18 mai 1994, n° 92-17815 ; Civ, 3ème, 28 janvier 2009, n° 07-20997).


Par un arrêt du 2 juillet 2003 (n° 02-14642 Publié), la Cour de cassation a retenu que des travaux de retrait de l'amiante, qui nécessitaient l'évacuation de l'immeuble pendant 12 à 18 mois, étaient assimilables compte tenu de leur coût à une destruction partielle n'entraînant pas la résiliation du bail de plein droit, mais que dans les circonstances de l'espèce, la présence d'amiante caractérisant un vice caché de la chose louée (article 1721 du code civil) le bailleur devait sa garantie au locataire pour les troubles subis. 


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