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La création d'un restaurant dans un immeuble soumis au statut de la copropriété



Il est naturel que les copropriétaires considèrent avec une certaine appréhension le projet d'installation d'un restaurant dans un immeuble en copropriété. Un tel commerce, plus que d'autres, est de nature à provoquer différentes nuisances, olfactives, sonores, visuelles. Un tel projet implique aussi, le plus souvent, des travaux affectant les parties communes.

 

La question de la destination de l'immeuble, telle qu'elle est énoncée par le Règlement de copropriété (RC), est alors déterminante.


Aux termes de l'article 8 para. I de la loi du 10 juillet 1965, « un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l'administration des parties communes. Il énumère, s'il y a lieu, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative.


« Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ».


L'article 9 alinéa 1er de la même loi énonce que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble ».

Autrement dit, chacun est libre chez soi mais en même temps tous les copropriétaires sont sujets de la loi commune qu'est le RC, dont la valeur est contractuelle et qui ne peut être amendé que par une volonté unanime. Et les clauses du RC, relatives à la destination déterminent et le cas échéant limitent l'usage des parties privatives par la destination de l'immeuble, d'habitation, professionnelle ou commerciale (par exemple, Civ, 3ème, 26 mars 2020, n° 18-22441).


Il va de soi qu'il ne sera pas permis d'exploiter un fonds de commerce dans un immeuble à destination exclusive d'habitation ou à destination mixte d'habitation et professionnel.

 

Les travaux qu'implique le plus souvent le projet d'exploiter un fonds commerce de restauration dans un lot de copropriété, travaux qui affectent les parties communes et l'aspect extérieur de l'immeuble et de ce fait requièrent l'autorisation des copropriétaires exprimée à la majorité de l'article 25, peuvent, le cas échéant faire naître le litige.


Mais le litige entre l'exploitant et les copropriétaires ou certains de ces copropriétaires peut encore se nouer s'il s'avère que l'activité autorisée génère des nuisances, des troubles de voisinage d'une nature que les RC proscrivent généralement en édictant que les copropriétaires ont l'obligation de respecter la tranquillité de l'immeuble, de ne pas faire de bruit, de ne pas exercer d'activité malodorantes ou inesthétique.


Si l'immeuble est à destination commerciale, ou s'il est mixte et que le local où l'exploitation d'un restaurant est envisagée est désigné à usage commercial dans le RC ou qualifié « boutique », sans limitation expresse de la liberté de l'activité commerciale, les copropriétaires, ne peuvent s'opposer a priori à cette exploitation sous réserve que les autres prescriptions du RC soient respectées.


Il a été jugé que la clause du RC prohibant diverses activités commerciales énumérées comme étant susceptibles de troubler la quiétude des copropriétaires n'est pas contraire à la destination mixte de l'immeuble (Civ, 3ème, 2 juillet 2013, n°11-26363).


Au-delà des terminologies employées par le RC (qui dépendent beaucoup de l'époque à laquelle ce document a été établi), chacun, y compris le juge, peut être sensible à des éléments d'appréciations tels que le standing de l'immeuble et les caractères du restaurant. L'exploitation d'un « fast food » au rez-de-chaussée d'un immeuble de standing peut apparaître problématique en raison de l'intensité des nuisances qu'elle peut provoquer.

 

Civ, 3ème, 14 janvier 1987, n°85-15475 : « qu'après avoir relevé sans dénaturation que, selon le règlement de copropriété, l'exercice d'une activité commerciale, dans les locaux à ce destinés, était autorisée à condition que cela n'apporte aucune gêne aux autres copropriétaires par le bruit ou l'odeur, l'arrêt constate que l'exploitation au rez-de-chaussée d'un immeuble "de standing" d'un commerce de bar-salon de thé, ouvert jusqu'à deux heures du matin et où l'on sert des aliments cuisinés, contrevient à ces dispositions et cause aux copropriétaires des troubles de jouissance dont il fixe souverainement la réparation ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ».

 

Civ, 3ème, 13 novembre 2013, n° 12-26121 : pour refuser d'ordonner, à la demande du syndicat des copropriétaires qui invoquait des nuisances, la cessation de l'exploitation d'une pizzeria, la cour d'appel de Paris a relevé que l'activité de restauration n'était pas exclue par le RC et que le syndicat des copropriétaires refusant toute mesure adéquate destinée à faire cesser les inconvénients liés à une activité non prohibée par le règlement de copropriété, il y avait lieu de recourir à une mesure d'expertise sur les nuisances et les remèdes possibles, tout en permettant la poursuite de l'activité ; la Cour de cassation a cassé cet arrêt et énoncé que « qu'en statuant ainsi, tout en constatant l'existence de nuisances olfactives liées à l'activité de la (pizzeria) et alors que le règlement de copropriété excluait formellement les établissements générant ce type de nuisances, la cour d'appel a violé (les articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965) ».

 

Civ, 3ème, 19 novembre 2015, n° 14-18752 : « Attendu qu'ayant relevé que l'exercice d'une activité de restauration rapide avec réchauffage des produits et vente à emporter, non autorisée par l'assemblée générale des copropriétaires, constituait une violation des clauses du bail et du règlement de copropriété en entraînant des nuisances sonores, olfactives et des allers et retours dans les parties communes, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a pu prononcer la résiliation du bail et condamner la société locataire in solidum avec son bailleur à réparer le préjudice résultant des troubles occasionnés à la copropriété ».

 

Civ, 3ème, 13 novembre 2013, n°12-24446, dans le cas particulier d'un RC imposant l'exercice d'un commerce de luxe en considération de la destination de l'immeuble : « Mais attendu qu'ayant retenu (...) que la restriction prévue par le règlement de copropriété imposant l'exercice d'un commerce de luxe était toujours justifiée par la destination de l'immeuble qui, en dépit de l'évolution de la composition sociologique des promeneurs et des résidents du quartier au cours des ans et de l'installation de débits de boissons et de brasseries dans certains bâtiments, restait un bel immeuble situé dans un quartier d'habitation cossu, et que l'activité envisagée, qui n'était pas un salon de thé mais s'apparentait à de la restauration rapide, n'était pas un commerce de luxe, et était par nature bruyante, la cour d'appel (…) a pu en déduire que la clause n'était pas illicite et que le refus du syndicat des copropriétaires d'autoriser l'installation du commerce (...) n'était pas abusif ».

 

Toutefois, sous réserve de cas particuliers et en l'absence de clause du RC excluant expressément certains types de commerce, la jurisprudence paraît retenir en principe que dans un immeuble à usage mixte d'habitation et de commerce, l'exploitation d'un restaurant ne peut être considérée a  priori comme une activité devant provoquer des troubles anormaux de voisinage. Dès lors, ce n'est qu'a posteriori, s'il apparaît que cette exploitation génère effectivement les nuisances prohibées par le RC, qu'elle pourra être interdite par le juge à la requête des copropriétaires ou de certains d'entre eux.

 

Civ, 3ème, 29 février 2012, n° 10-28618, dans le cas de nuisances sonores et olfactives provoquées par l'exploitation d'un fonds de commerce de débit de boissons, restauration et bar de nuit : «  que pour débouter MM. X... et Y... de leur demande tendant à voir dire qu'il ne peut être exercé dans le lot n° 1 aucune activité de commerce de bouche et diffusion musicale, l'arrêt retient que le règlement de copropriété, stipulant que le garage " pourra être utilisé pour le stationnement des véhicules ou pour l'exploitation commerciale ou professionnelle " et ne prévoyant aucune restriction d'usage commercial, l'exercice d'une activité commerciale dans ce lot n'est pas contraire à la destination de l'immeuble ;  Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'activité exercée dans le lot n° 1 était source de nuisances constitutives d'un trouble anormal pour les copropriétaires, la cour d'appel, qui n'a pas pris les mesures de nature à les faire cesser, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ».

 

Civ, 3ème, 21 novembre 2000, n° 96-17101 : « ... pour dire que l'activité de restauration est interdite par le règlement de copropriété, l'arrêt, après avoir constaté que la destination de l'immeuble est à usage mixte d'habitation et d'exploitation commerciale limitée au local du rez-de-chaussée, que ce local peut être utilisé pour l'exercice de tout commerce à l'exclusion de ceux formellement interdits en raison de la prohibition d'ordre général habituelle relative aux nuisances et plus particulièrement de celle concernant des commerces non limitativement énumérés, mais cités à titre d'exemple comme soit s'apparentant à ceux vendant au détail de la viande bovine, porcine ou du poisson, soit comportant des installations bruyantes, l'arrêt retient que le local du rez-de-chaussée ne peut être utilisé, eu égard aux énonciations claires et précises de la clause du règlement de copropriété, à l'exercice d'une activité similaire, en ce qui concerne les inconvénients qu'elle est susceptible de présenter pour les copropriétaires, à celle des commerces énoncés à ladite clause ; Qu'en statuant ainsi, par des motifs dont il ne résulte pas que l'activité de restaurant était précisément interdite par le règlement de copropriété en dérogation du principe de la liberté des activités commerciales, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé (l'article 1134 du code civil ».

 

Civ, 3ème, 14 décembre 2010, n° 09-71134 : « Attendu qu'un règlement conventionnel de copropriété détermine la destination des parties tant privatives que communes ainsi que les conditions de jouissance ; Attendu que pour rejeter la demande de la SCI, l'arrêt retient que l'assemblée générale du 10 mars 2003 a décidé de refuser de consentir à la SCI l'autorisation d'exploiter un restaurant dans le local du rez-de-chaussée, au motif que le règlement de copropriété du 28 novembre 1995 stipule : "il ne pourra y être exercé aucune profession ni aucun métier bruyant, insalubre ou exhalant de mauvaises odeurs ; Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la copropriété était composée de deux bâtiments à usage mixte d'habitation et de commerce et que le règlement de copropriété n'interdisait pas expressément une activité de restauration, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les textes susvisés ».

 

S'agissant des travaux nécessaires à l'exploitation d'un restaurant et qui généralement affectent les parties communes et l'aspect extérieur de l'immeuble, devanture, enseigne, colonne d'extraction des fumées, etc, l'assemblée générale des copropriétaires sera invitée à se prononcer à la majorité des l'article 25 (majorité des voix de tous les copropriétaires).


L'assemblée générale exerce son plein contrôle sur les projets qui lui sont soumis, et peut écarter ceux qui sont de nature à entraîner d'importantes nuisances pour les copropriétaires.


Civ, 3ème, 19 octobre 2010, n° 09-70515 : « Attendu qu'ayant relevé que si aux termes du règlement de copropriété les lots affectés à usage commercial pouvaient être utilisés pour l'exercice de n'importe quel commerce, il était aussi indiqué que cette faculté était subordonnée à la condition que cet exercice ne nuise pas à la tranquillité des autres occupants, et constaté que les travaux, tels qu'ils avaient été présentés à l'assemblée générale, portaient essentiellement sur la transformation de petits commerces en grande surface, l'ajout d'une enseigne lumineuse, la transformation des façades, en particulier pour l’installation d'un dispositif de rejet d'air de condensateur de la chambre froide de stockage des marchandises de la grande surface et la création d'un passage dans le hall d'entrée de l'immeuble pour permettre le passage du personnel, la cour d'appel, qui en a souverainement déduit que de tels travaux, qui étaient de nature à entraîner d'importantes nuisances pour les copropriétaires, en ce qui concernait notamment leur tranquillité, apparaissaient contraires à l'intérêt collectif, a légalement justifié sa décision de ce chef ».

 

Encore faut-il une bonne raison pour refuser des travaux nécessaires à une exploitation commerciale licite, sauf à risquer une condamnation pour abus de majorité.


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