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La Cour de cassation et les beaux arbres




L'implantation d'arbres en limite de propriété et les nombreux litiges qui en résultent ont suscité une abondante jurisprudence.


1. L'article 671 du code civil dispose en substance et notamment que les arbres dont la hauteur dépasse deux mètres ne peuvent être implantés à moins de deux mètres d'une limite séparative, sauf réglementation particulière ou usages locaux constants et reconnus.


L'article 672 du même code ajoute que « le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire ».


La constitutionnalité de cette servitude légale de voisinage qu'on peut invoquer sans avoir à justifier d'un préjudice, d'un motif ou d'un intérêt particuliers, a été contestée par une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation, par un arrêt du 5 mars 2014 (n° 13-22608 P.), a jugée sérieuse au regard des articles 1 à 4 de la Charte de l'environnement et des dispositions constitutionnelles garantissant le droit de propriété, et transmise au Conseil constitutionnel.


Le Conseil constitutionnel (Décision 2014-394 QPC du 7 mai 2014) a conclu à la conformité à la Constitution des dispositions contestées du code civil, retenant d'une part que l'arrachage de végétaux ne peut avoir de conséquences sur l'environnement et d'autre part que la servitude légale de voisinage instaurée par l'article 671 du code civil ne porte pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée.


L'article L130-1 du code de l'environnement dispose que les plans locaux d'urbanisme (PLU) peuvent comporter prescriptions et interdictions pour protéger arbres et plantations et préserver les caractères de la commune. Le PLU peut être la réglementation qui conduit écarter les prescriptions de distance et de hauteur énoncées à l'article 671 du code civil, qui sont supplétives et ne trouvent application que par défaut.


Selon la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, dans toutes les zones urbaines de l'Île de France et notamment à Paris, les usages locaux permettent les plantations jusqu'à l'extrême limite divisoire des jardins et propriétés. Les Cours d'appel de Versailles, Rouen, Caen, Aix en Provence ont relevé les mêmes usages locaux dans différentes communes de leur ressort.


C'est ce qu'illustre l'arrêt de la Cour de cassation du 7 janvier 2021 (n° 19-23694) qui a été abondamment commenté bien qu'il n'ait pas été publié et qu'il n'invente rien. Dans la commune de Saint Brévin les Pins, un propriétaire demandait en justice la condamnation de son voisin à arracher trois chênes verts de grande hauteur implantés à moins de deux mètres de la limite séparative des fonds. La cour d'appel avait rejeté cette demande en se référant au PLU qui imposait sur la zone considérée la conservation de la trame végétale et soumettait la suppression des arbres de haut jet à l'obtention d'une autorisation et à l'obligation de remplacement par une plantation équivalente d'arbres de haut jet. La Cour de cassation a expressément approuvé cette décision, relevant que la réglementation applicable conduisait à « déroger aux dispositions supplétives des articles 671 et 672 du code civil, et faisait ainsi obstacle au droit du voisin d'exiger que des chênes soient arrachés en cas de non-respect des hauteurs et distances prévues par le premier de ces textes ».


Même solution dans une espèce analogue : Civ, 3ème, 7 avril 2010, n° 19-10271.


2. L'article 673 dispose que « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative ». Ce droit d'élagage est imprescriptible, dit encore le texte.

Il se rapporte non seulement aux branches qui viennent à surplomber le fonds voisin, mais aussi aux racines qui s'y étendent.


La Cour de cassation rappelle couramment le caractère imprescriptible et la force du droit d'élagage. Par exemple, par un arrêt du 31 mai 2012 (n° 11-17313, non publié), la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait rejeté une demande d'élagage d'un chêne monumental d'une hauteur de quinze à vingt mètres dont plusieurs branches dépassaient la limite de propriété. La cour d'appel avait retenu que « le chêne bicentenaire est répertorié comme arbre remarquable dans le plan vert de la commune, qu'il ne présente pas de danger pour le voisin, que toute taille mettrait en danger son devenir, causant ainsi un dommage irréparable à l'écosystème (...), et que la demande (…) constitue en fait une demande déguisée de destruction de l'arbre qui se heurte aux prescriptions de l'article 672 du code civil ». La Cour de cassation casse en énonçant : « qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à justifier une restriction au droit imprescriptible du propriétaire sur le fonds duquel s'étendent les branches de l'arbre du voisin de contraindre celui-ci à les couper, la cour d'appel a violé le texte susvisé (l'article 673 du code civil) ».


Ou cet arrêt du 27 avril 2017 (n° 16-13953 P) selon lequel la protection la protection d'un PLU est insuffisante dès lors qu'il n'est pas établi que l'élagage détruise l'arbre ou soit nuisible à sa conservation.


Ou encore cet arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2017 (n° 15-29147) qui casse, avec une certaine raideur, l'arrêt d'une cour d'appel qui avait rejeté la demande d'élagage au motif qu'il résulte d'un courrier de l'ONF que « la conservation de la branche litigieuse améliore l'équilibre de l'arbre qui, autrement, serait déséquilibré par la suppression de toutes les branches du même côté » ce qui causerait « un péril encore plus important que celui dénoncé ». Selon la Cour de cassation, ces motifs sont inopérants dès lors « que le propriétaire sur le fonds duquel s'étendent les branches d'un arbre implanté sur le fonds de son voisin dispose du droit imprescriptible de contraindre celui-ci à les couper ».


Il est expressément admis par la Cour de cassation que le droit d'enlèvement des racines qui s'étendent sur le fonds voisin puisse même conduire à l'abattage d'arbres implantés pourtant conformément aux prescriptions de l'article 671 du code civil. Ainsi, dans un arrêt du 7 juillet 2016 (n° 14-28843), la Cour approuve une cour d'appel qui avait retenu que « selon le rapport de l'expert, il était impossible de connaître la quantité de racines présentes dans le jardin, que leur coupe impliquerait un travail colossal (…), qu'elle fragiliserait les peupliers qui deviendraient dangereux et qu'en réalité ce type d'opération ne se pratiquait pas, le retrait des racines nécessitant en fait la coupe entière de l'arbre, voire son dessouchage » et qu'en conséquence, pour répondre à la demande fondée sur l'article 673, c'est l'abattage des arbres qui devait être ordonné.


Le fait que le propriétaire qui invoque le droit d'élagage n'ait pas agi pendant des années caractérise, à défaut d'une convention expresse, une tolérance et il ne saurait se voir opposer la constitution d'une servitude par destination du père de famille, alors qu'il exerce un droit imprescriptible (Cass 3ème Civ 18 octobre 2006 n° 04-20370 P.).


On ne peut manquer de voir dans de telles décisions comme un écho de l'attachement déraisonnable de la Cour de cassation au principe que la défense contre un empiétement ne peut jamais dégénérer en abus. Comme le propriétaire qui se défend contre un empiétement, celui qui réclame un élagage n'est pas tenu de démontrer un intérêt légitime (Civ, 3ème, 30 juin 2010, n°09-16257 P).


Néanmoins, la Cour de cassation admet que l'article 673 du code civil n'est pas d'ordre public. En conséquence, le cahier des charges d'un lotissement peut y déroger pour répondre, par exemple, à l'objectif, contractualisé entre les propriétaires de ce lotissement, de conserver la végétation existante (Civ, 3ème, 13 juin 2012 n° 11-18791 P).


Par ailleurs, dans un arrêt non publié du 1er juin 2011 (n° 06-17851), peut-être d'espèce, la Cour de cassation admet, sans expliquer le fondement juridique de son raisonnement, que pourrait être exclu l'élagage de platanes compris dans un jardin classé au titre des monuments historiques, cette opération pouvant modifier l'aspect des lieux.


Et enfin, la jurisprudence a opéré une délimitation du champ d'application de l'article 673 du code civil, qui ne résulte pas du texte même, en retenant que le droit d'élagage ne peut être revendiqué que si les fonds intéressés sont contigus. La Cour de cassation a rappelé récemment ce principe dans une affaire où les fonds étaient séparés par une voie publique au-dessus de laquelle débordaient quelques branches d'un cèdre (Civ, 3ème, 20 juin 1919, n° 18-12278 P.).


3. Les droits que tient un propriétaire des articles 671à 6073 du code civil ne lui interdisent pas de recourir aussi à la notion de trouble anormal de voisinage (Civ, 3ème, 30 mars 2017, n° 15-27.521), d'autant plus si la présence des arbres en limite de propriété, leur état de moindre résistance face aux vents violents, crée un risque avéré pour la sécurité des personnes et des biens sur le fonds voisin (Civ, 3ème, 10 décembre 2014 n° 12-26361 P.).


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