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La confrontation du droit de la copropriété avec un droit fondamental




Le droit au respect de la vie privée et familiale et le principe de l'inviolabilité du domicile ont une valeur constitutionnelle (CC 4 décembre 2013 n° 2013-679 DC ; 16 septembre 2010 n° 2010-25 QPC ;  18 janvier 1995 n° 94-352 DC). Ces droits sont également protégés au titre de l'article 8 de la CEDH et de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.


Dans la vie d'une copropriété, cette règle peut venir en conflit avec la prescription de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, selon laquelle « un copropriétaire ne peut faire obstacle à l'exécution, même sur ses parties privatives, de travaux d'intérêt collectif régulièrement décidés par l'assemblée générale des copropriétaires ».


Un pareil conflit est résolu par le juge au moyen d'un examen de proportionnalité. Un arrêt du 5 octobre 2017 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n° 16-21971) en donne une parfaite illustration. Dans cette affaire, l'assemblée générale des copropriétaires avait adopté une résolution missionnant un géomètre pour procéder au mesurage des lots. Le propriétaire d’un de ces lots et son locataire avait refusé l’accès à ce géomètre. Le syndicat des copropriétaires les a assignés en référé pour obtenir l'autorisation d’accéder à leurs locaux.

 

Le juge des référés, puis la cour d'appel, avaient accordé cette autorisation, rejetant les moyens du copropriétaire selon lesquels il résultait de la décision de l'assemblée générale une atteinte disproportionnée au principe de l'inviolabilité du domicile. La Cour de cassation approuve l'arrêt en retenant que la cour d'appel « … a pu estimer que l'ingérence résultant de la décision de l'assemblée générale et impliquant que le géomètre pénètre dans le domicile de ces sociétés ne portait pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de celui-ci au regard du but légitime poursuivi, visant à s'assurer que la répartition des charges était en adéquation avec les surfaces respectives des différents lots, a pu en déduire que le refus des deux sociétés de laisser le géomètre accomplir sa mission était constitutif d'un trouble manifestement illicite ».


Ainsi, le contrôle de proportionnalité conduit à juger que l'ingérence n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi par l'assemblée générale qui souhaitait vérifier l'adéquation des charges avec la surface des différents lots.  De ce fait, le refus du propriétaire et du locataire de permettre l'accès au géomètre constituait un trouble manifestement illicite permettant au syndicat d'agir en référé.

 

On sait que la liberté religieuse, liberté de culte ou liberté de croyance est garantie en France par la Constitution et les instruments européens et internationaux auxquels la France est partie. Elle implique le droit de manifester sa religion mais ce droit peut être restreint pour un motif légitime, de manière proportionnée et non discriminatoire. Selon la jurisprudence, cette liberté fondamentale a peu de portée dans les rapports contractuels. Elle n'autorise pas une partie à se soustraire aux obligations souscrites.


Ainsi, dans une affaire où des locataires, qui faisaient valoir que pour des motifs religieux ils ne pouvaient utiliser pendant le sabbat des dispositifs de fermeture par digicode ou carte magnétique, avaient assigné en référé leur bailleresse pour la faire condamner à poser une serrure mécanique à l'entrée de la résidence et pour l'accès à leur logement. La cour d'appel avait fait droit à cette demande, retenant qu'au regard des garanties dont bénéficie la liberté de culte, le refus opposé aux locataires leur avait causé un préjudice manifestement illicite, la pose d'une serrure supplémentaire et la confection de clés n'altérant pas l'équilibre du contrat.


Par un arrêt du 18 décembre 2002 (n° 01-00519), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt au double visa des textes fondamentaux garantissant la liberté de culte et des textes de droit interne sur le bail d'habitation, en énonçant le principe que « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n'entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique ».

 

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a statué pareillement dans une espèce voisine où des résidents d'un foyer Sonacotra (devenue Adoma) exigeaient le maintien à leur disposition d'une salle de prière. La Cour de cassation confirme l'arrêt de la cour d'appel qui avait dit que la société n’avait pas porté atteinte à une liberté fondamentale en décidant la fermeture de cette salle pour procéder à des travaux de modernisation et de sécurisation et relève que cette société n'est pas en charge d'assurer aux résidents la possibilité matérielle d'exercer leur culte (Civ, 1ère, 30 septembre 2015, n° 14-25709).

 

La question s'est à nouveau posée en droit de la copropriété, lorsqu’une assemblée générale a mandaté son syndic pour qu'il agisse aux fins que soit retirée la construction édifiée en végétaux sur son balcon par un copropriétaire à l'occasion de la fête juive des Cabanes. Ce copropriétaire a assigné le syndicat en annulation de la résolution.


Selon la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, qui approuve expressément la cour d'appel d'avoir rejeté cette demande, « la liberté religieuse, pour fondamentale qu'elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d'un règlement de copropriété ». Or, la cabane édifiée sur un balcon à l'occasion d'une fête juive était un ouvrage prohibé par le règlement de copropriété et « portait atteinte à l'harmonie générale de l'immeuble, puisqu'elle était visible de la rue » (Civ, 3ème, 8 juin 2006, n° 05-14774).

 

Cette fiction de deux mondes normatifs séparés et indépendants l'un de l'autre, la loi du contrat et la liberté de culte, est étrange et peut-être problématique. On sait que dans un cas de figure rigoureusement identique, la Cour suprême du Canada a rendu le 30 juin 2004 une décision contraire, il est vrai à une majorité de cinq juges contre quatre.


Cette juridiction a considéré que la liberté de religion devait prévaloir, dès lors que l'atteinte qui pouvait résulter pour l'ensemble des copropriétaires de la construction de cabanes sur des balcons privatifs pendant un temps limité était minime en comparaison de l'atteinte à la liberté de religion qui résulterait d'une interdiction. Toutefois, elle a validé des restrictions résultant du droit de la copropriété en énonçant que ces constructions provisoires ne devaient pas porter atteinte à la sécurité de l'immeuble ni à son apparence esthétique.
 


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