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L’annulation d'un contrat de bail commercial et indemnité d'occupation




Un arrêt de la 3ème chambre de la Cour de cassation du 3 novembre 2021 (n° 20-16334 Publié) a entendu clarifier les conséquences de l'annulation (ou de la résolution) d'un bail commercial mais paraît opérer un revirement. Selon cet arrêt, la personne qui avait la qualité de preneur ne peut être condamnée à payer une indemnité d'occupation que si elle a disposé de la jouissance effective des locaux conformément à leur destination contractuelle.

 

1. On sait que la nullité d'un contrat emporte son annulation rétroactive. Selon la formule traditionnelle, ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé. En conséquence légale de l'annulation, les parties sont replacées dans leur situation initiale. Les restitutions sont de plein droit (Com, 19 mai 2021, n° 19-18230). Les modalités de ces restitutions par suite de l’annulation d’un contrat instantané tel un contrat de vente, sont clairement fixées. Les restitutions ne s’entendent en principe que de celle de la chose en contrepartie de celle de son prix (Civ, 1ère, 11 mars 2003, n° 01-01673 : en raison de l’effet rétroactif de la résolution du contrat, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l'acquéreur).


Il a été jugé en matière de vente d'immeuble que l'annulation du contrat ne permettait pas au vendeur d'obtenir une indemnité d'occupation pour la période durant laquelle l'acheteur avait occupé l'immeuble (Ch Mixte, 9 juillet 2004, n° 02-16302, en cette espèce, l'acheteur avait occupé les lieux plus de cinq ans avant l'annulation du contrat de vente).


Dans le cas de l’annulation ou de la résolution d’un contrat à exécution successive, tel le contrat de bail, la question de la restitution se pose différemment. La cause et l’objet du contrat étant la jouissance de locaux, l’obligation de restitution ne peut être satisfaite par la seule libération des locaux.


La restitution de la jouissance étant impossible en nature, elle implique le versement de sa contrepartie sous la forme d'une indemnité d'occupation (Civ, 3ème, 1er juillet 1987, n° 85-17977 : en cas d’annulation d’un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l’indemnité d’occupation due représente la contrepartie de la jouissance des lieux ; Civ, 3ème, 30 avril 2003, n° 01-14890 ; Cass Ch Mixte, 9 novembre 2007, n° 06-19508 : alors qu’un moyen invitait la Cour de cassation à dire qu’une cour d’appel, en condamnant le preneur au paiement d’une indemnité d’occupation, n’avait tiré les conséquences légales de ses propres constatations puisque le contrat de bail, frappé de nullité, était réputé n’avoir jamais eu d’existence, il a été énoncé « que c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par (le preneur) en contrepartie de sa jouissance des lieux »).


Mais, dès lors que le contrat de bail a disparu, étant rétroactivement anéanti, l’indemnité d’occupation ne peut être celle dont le montant a été déterminé par une clause de ce bail (Civ, 3ème, 30 octobre 2002, n° 01-01219).


Et, selon une jurisprudence constante, la prescription quinquennale ne s'applique pas aux demandes de restitutions, lesquelles ne relèvent pas du paiement de l’indu mais des règles de la nullité (Civ, 3ème, 14 juin 2018, n° 17-13422).

 

2.  Dans l'affaire jugée par l'arrêt du 3 novembre 2021 de la Cour de cassation, une société Atelier de Marrakech avait pris à bail, par acte du 9 octobre 2012, des locaux commerciaux destinés à une activité de « traiteur, restaurant, bar ». Un litige a opposé la locataire et la SCI bailleresse et différentes procédures judiciaires ont été engagées par les parties. En particulier, la locataire a assigné la bailleresse le 29 avril 2014 en annulation du bail pour dol, étant apparu que le local était dépourvu d'un circuit d'évacuation des eaux usées en sous-sol (ce qui entraînait l'impossibilité d'installer la cuisine en sous-sol), contrairement à ce qui avait été assuré. Par jugement du 13 septembre 2018, le tribunal de Paris a notamment annulé le bail du 9 octobre 2012.


Devant la cour d'appel, la SCI bailleresse demandait à titre subsidiaire qu'il soit jugé que la locataire avait été occupant sans droit ni titre du fait de la nullité absolue du bail et qu'elle soit reconnue débitrice d'indemnités d'occupation. La cour d'appel confirme le jugement sur la nullité du bail, considérant que l'installation des cuisines en sous-sol était rentrée dans le champ contractuel. Sur les indemnités d'occupation demandées par la SCI bailleresse, l'arrêt énonce que « l’annulation d’un contrat emporte sa disparition rétroactive et implique de remettre les parties dans la situation qui était la leur à la date de conclusion du contrat annulé. S’agissant d’un bail, en raison de l’impossibilité de restituer la jouissance matérielle des lieux accordée en contrepartie des loyers, la restitution se fait en valeur par le versement d’une indemnité d’occupation correspondant à la valeur locative qui n’est pas nécessairement celle fixée par le bail annulé. Il importe peu que la société locataire n’ait pu exploiter les locaux pris à bail, la bailleresse ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés. Dans ces conditions, la société bailleresse est bien fondée à solliciter l’indemnisation de la contrepartie de la jouissance des locaux, dont elle-même n’a pu bénéficier jusqu’à la remise des clés du local le 21 mars 2016 ».

 

Sur le pourvoi incident de la locataire, qui reprochait à l'arrêt de la cour d'appel de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation alors que, pour une raison indépendante de sa volonté, elle n'avait pu bénéficier de la jouissance des lieux loués en raison de leur caractère inexploitable, la Cour de cassation retient, dans son arrêt du 3  novembre 2021, qu’« en cas d'annulation d'un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l'indemnité d'occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux. Dès lors, si le locataire n'a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation ».


L'arrêt de la cour d'appel est cassé pour n'avoir pas tiré les conséquences légales de ses constations selon lesquelles le bail avait été consenti pour un local impropre à sa destination contractuelle.

 

3.  La règle ainsi dégagée est donc qu'en cas d'annulation d'un bail commercial, le preneur ne peut être condamné au paiement d'une indemnité d'occupation que s'il a bénéficié de la jouissance des locaux conformément à leur destination contractuelle.


Un arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 24 juin 2009 (n° 08-12251 P.) a traité différemment une situation voisine. Une société avait acquis un fonds de commerce avec le droit au bail. Cette cession du fonds a été plus tard annulée pour dol en raison de ce que le cédant exploitait le fonds dans des locaux qu'il avait aménagés au mépris des règlement de sécurité. Une fermeture administrative avait été ordonnée jusqu'à mise en conformité. Entre-temps, le bail avait été renouvelé. La locataire a fait valoir avec succès la nullité du renouvellement du bail pour défaut de cause. Sur la question de l'indemnité d'occupation demandée par le propriétaire des locaux, la cour d'appel a jugé que ce propriétaire ne pouvait prétendre à la jouissance des locaux par l'ex locataire en conséquence de l'effet rétroactif de l'annulation du bail.


Cette décision de la cour d'appel est cassée conformément à la jurisprudence classique, au motif que si « la nullité emporte l'effacement rétroactif du contrat et a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale », la jouissance des locaux par la personne qui avait la qualité de locataire oblige cette dernière à payer une indemnité d'occupation en contrepartie de cette jouissance.


Pourtant, il apparaît des constatations de fait que le cessionnaire du fonds de commerce n'avait pu exploiter les locaux pour des motifs auxquels il était parfaitement étranger. À l'évidence, ces locaux n'étaient pas conformes à leur destination contractuelle.


Un arrêt récent de la Cour de cassation du 21 février 2019 (n° 18-11109 I.) paraît s'inscrire dans cette ligne jurisprudentielle, en mettant en œuvre la règle selon laquelle le droit à jouir des lieux loués, seule contrepartie du paiement d'un loyer ou d'une indemnité d'occupation, n'est pas subordonné à la condition d'exploitation du local par le preneur.


Dans cette affaire, le gestionnaire d'un centre commercial avait consenti, en septembre 2010, un bail commercial à la société Marionnaud mais la société Sephora exerçant la même activité de parfumerie s'est installée au même moment dans le local mitoyen ce qui modifiait radicalement l'environnement concurrentiel du local loué. La société Marionnaud a assigné aussitôt la bailleresse en nullité du bail sur le fondement de l'erreur sur les qualités substantielles. La preuve d'une telle erreur ayant été rapportée, la nullité du bail a été prononcée et confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 octobre 2013 (n° 12-13302, I.). Par la suite, la société Delfimmo a assigné la société Marionnaud en paiement d'une indemnité d'occupation.


La cour d'appel a rejeté cette demande au motif que le preneur n'avait pas exploité les lieux loués dans l'attente de l'issue de la procédure en nullité du bail et qu'il avait restitué les clés du local au bailleur quinze mois après la conclusion de ce bail. Cette décision a été cassée, la Cour de cassation relevant que la cour d'appel qui avait constaté que le preneur avait bénéficié de la jouissance des lieux, n'en a pas tiré les conséquences légales. Autrement dit, les locaux sont restés à sa disposition pendant quinze mois et que la société Marionnaud ait fait le choix de ne pas les exploiter commercialement ne la dispense pas du paiement d'une indemnité d'occupation.

 

On pourrait être tenté d'expliquer l'apparente contradiction entre l'arrêt du 3 novembre 2021 et la jurisprudence antérieure par une distinction opérée selon le fondement de l'annulation du contrat de bail. La référence incidente de l'arrêt du 3 novembre 2021 à un motif d'annulation étranger au comportement du preneur pourrait y inciter.


Ainsi, une annulation du bail en raison d'un dol dont le preneur aurait été victime empêcherait le propriétaire des locaux d'invoquer une créance d'indemnité d'occupation. Il en irait différemment si le bail est annulé en raison d'une erreur sur les qualités essentielles. Une telle doctrine paraît peu justifiable et d'ailleurs l'arrêt ne l'exprime pas clairement. Le principe de l'indemnité d'occupation paraît, dans cet arrêt du 3 novembre 2021, mécaniquement liée à la jouissance ou non de locaux conformes à leur destination contractuelle. Au regard de la jurisprudence antérieure, cet arrêt de 2021 caractérise sinon un revirement de jurisprudence, du moins une évolution de celle-ci. 


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