Le statut des baux commerciaux étant pour l'essentiel d'ordre public, il gouverne en principe toute relation contractuelle ayant pour objet la location d'un local stable et permanent où est exploité un fonds de commerce. Il existe cependant des possibilités pour les parties de s'y soustraire : en premier lieu, depuis une loi du 12 mai 1965, le bail dérogatoire (article 145-5 du code de commerce), en second lieu le contrat de location saisonnière, enfin la convention d'occupation précaire (article 145-5-1 du même code).
Le bail dérogatoire
Le bail commercial dit dérogatoire, ou dans la pratique, bail de courte durée, vise d'une part à échapper aux règles légales relatives à la durée des baux commerciaux et à leur renouvellement, et d'autre part à permettre aux parties de fixer librement le loyer sans être tenues par les règles statutaires relatives au plafonnement. Un tel bail est donc soumis, pour son application, au droit commun des articles 1709 et suivants du code civil.
La loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (loi Pinel) en a modifié et complété l'économie du bail dérogatoire.
L'article L145-5 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi Pinel, était assez laconique et disposait seulement que les parties pouvaient, à l'entrée du preneur dans les lieux, écarter les règles relatives à la durée du bail commercial (soit les articles L145-4 à L145-7 du code de commerce), à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans. Le texte ajoutait que si le preneur était laissé en possession à l'issue du bail dérogatoire, il s'opérait un nouveau bail, réglé, celui-ci, par les dispositions du statut, et qu'était aussi soumis au statut un nouveau bail conclu après le délai de deux ans entre les mêmes parties pour le même local.
Néanmoins, les parties pouvaient conclure avant le terme du bail dérogatoire, un nouveau bail expressément dérogatoire pour l'exploitation dans les mêmes locaux du même fonds de commerce ou d'un autre fonds.
La jurisprudence a souvent insisté sur la nécessité pour les parties de manifester clairement et sans ambiguïté leur intention de conclure un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux. Ainsi, la seule fixation d'une durée du bail inférieure à deux ans ne suffit pas à caractériser un bail dérogatoire (Civ, 3ème, 2 février 2005 n° 03-19541). Les parties doivent expressément renoncer à se prévaloir du statut des baux commerciaux (Civ, 3ème, 24 novembre 2004, n° 03-12605).
La loi Pinel, en premier lieu, a porté de deux à trois ans la durée maximum du bail dérogatoire. Et elle interdit la conclusion par les même parties d'un nouveau bail dérogatoire, au delà de ce délai de trois ans, pour l'exploitation du même fonds de commerce dans les mêmes locaux (Civ, 3ème, 22 octobre 220 n° 19-20443 : « En statuant ainsi, alors que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, le bail conclu le 1er juin 2015, postérieurement à l'entrée en vigueur du nouvel article L. 145-5 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014, devait répondre aux exigences de ce texte et, par suite, ne pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d'effet du premier bail dérogatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé »).
Le point de départ du bail est l'entrée du preneur dans les lieux, la prise de possession des locaux en vertu du bail dérogatoire. Le preneur ne saurait se prévaloir, vis à vis du bailleur, d'une occupation antérieure des locaux en qualité de sous locataire (Civ, 3ème, 30 mars 2017 n° 16-10786) ou en vertu d'un quelconque autre titre depuis expiré (Civ, 3ème, 2 mars 2017, n° 15-28068).
En deuxième lieu, la loi Pinel est revenue sur l'automatisme de la transformation immédiate en bail statutaire du bail dérogatoire lorsque le preneur est laissé dans les lieux après son terme. Cette règle pouvait, en effet, créer de sérieuses difficultés tant au bailleur qu'au preneur (par exemple Civ, 3ème, 8 juin 2017 n° 16-24045).
La loi accorde désormais aux parties un délai d'un mois, après la fin du bail dérogatoire, pour mettre un terme à leurs relations contractuelles ou les poursuivre dans le cadre d'un bail soumis au statut des baux commerciaux. Il est important que dans ces circonstances, le bailleur comme le preneur manifestent clairement et solennellement leur intention.
Il a été jugé que lorsque le preneur est laissé en possession à l'expiration du bail dérogatoire, l'inscription au registre du commerce et des sociétés n'est pas nécessaire pour que s'opère un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux (Civ, 3ème, 25 octobre 2018, n° 17-26126).
Il a été jugé aussi que si tous les cotitulaires du bail dérogatoire se maintiennent dans les locaux dans lesquels un fonds de commerce est exploité, ils sont liés par le bail soumis au statut qui naît de la loi, qu'ils soient ou non personnellement exploitants du fonds (Civ, 3ème, 23 mai 2013, n°11-17071).
Il a été jugé encore que l'action tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du même code mais à la prescription quinquennale du droit commun (Civ, 3ème, 1er octobre 2014, n° 13-16806).
Si, pour l'exécution du bail dérogatoire, le loyer est fixé librement par les parties, le loyer du nouveau bail prenant effet au terme du bail dérogatoire doit correspondre, à défaut d'accord entre les parties, à la valeur locative, conformément aux dispositions de l'article L145-33 du code de commerce (Civ, 3ème, 14 décembre 2015 n° 0512587).
Enfin, la loi Pinel a étendu au bail dérogatoire (article L. 145-5 alinéas 5 et 6 du code de commerce) l'obligation générale qu'elle a posée en droit des baux commerciaux (article L.145-40-1 du même code) d'établir un état des lieux contradictoirement et amiablement, ou à défaut par huissier de justice à frais partagés, lors de l'entrée en possession par le locataire et de le joindre au contrat de location. On sait qu'à défaut d'état des lieux, le preneur est présumé, sauf preuve contraire, avoir reçu les lieux en bon état de réparations locatives et doit les restituer de même (article 1731 du code civil).
Le bail saisonnier
Aux termes de l'article L. 145-5 alinéa 4 du code de commerce, les dispositions relatives au bail dérogatoire ne sont pas applicables aux locations à caractère saisonnier. Celles-ci sont régies par les dispositions du code civil. Le locataire n'acquiert pas la propriété commerciale, et n'est pas protégé par les règles du statut des baux commerciaux relatives au renouvellement et à la fixation du loyer.
Une location commerciale est dite saisonnière lorsque le contrat confère la jouissance des lieux pour une « saison ». Cette « saison » est une période de l'année propice à une certaine exploitation commerciale dans un lieu donné. C'est la saison touristique dont la durée est variable selon le lieu, le climat et l'activité.
La location saisonnière est temporaire, d'une durée inférieure à l'année calendaire. Une année peut comporter plus d'une « saison » (par exemple à la montagne, location de skis l'hiver, location de vélos l'été).
Le bail saisonnier peut être renouvelée année après année, entre les mêmes parties et pour les mêmes locaux, mais à la fin de chaque période, ces locaux doivent être remis à la disposition du propriétaire.
Si, pendant l'intersaison, le locataire conserve la jouissance des locaux, le bail est soumis au statut des baux commerciaux, ayant de ce fait la nature d'un bail commercial à exploitation saisonnière. Il faut rappeler que selon une jurisprudence classique, un bail soumis au statut des baux commerciaux peut tout à fait être à exploitation saisonnière si telle a été la volonté des parties (Civ, 3ème, 1er mars 1972, n° 70-14539).
Si un litige oppose les parties sur la nature du bail, location saisonnière ou bail commercial, le juge recherchera, en missionnant le cas échéant un expert, les indices matériels de nature à établir ce que furent l'intention des parties et leur comportement durant les intersaisons, et par conséquent l'exacte qualification du contrat.
Un arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2001 (n° 00-13767) donne une idée des indices retenus pour établir l'existence d'une location saisonnière : » qu'ayant constaté qu'à chaque renouvellement annuel, la convention prévoyait, sans équivoque, que M. Y... ne pouvait invoquer le bénéfice du statut et que son inscription au registre du commerce n'était prise que pour une activité saisonnière, et retenu que le dépôt hors saison dans les lieux loués de marchandises appartenant au preneur ainsi que la conservation par lui des clés résultaient d'une simple tolérance de la bailleresse, qu'il ne payait que la quote-part des abonnements d'eau et d'électricité relative à la saison estivale, que le loyer correspondait également à cette période d'activité, la cour d'appel, qui a apprécié l'ensemble de ces éléments, en a souverainement déduit que M. Y... ne pouvait prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux ».
En revanche, établissent l'existence d'un bail commercial conclu pour une exploitation saisonnière les circonstances suivantes : «qu'ayant retenu que M. et Mme X... conservaient la disposition des locaux durant toute l'année, qu'ils y entreposaient des marchandises dans l'intervalle des périodes d'exploitation, qu'ils réglaient les factures de téléphone, d'eau, d'électricité et d'assurance sur la période annuelle, qu'ils acquittaient taxes et charges sur la base d'un local loué à l'année, que les remises de clés au terme de chaque période d'exploitation étaient manifestement fictives (...) la cour d'appel, (...) qui a souverainement déduit de ses constatations que les contrats dits de location saisonnière caractérisaient un bail soumis au statut des baux commerciaux conclu pour une exploitation saisonnière, a légalement justifié sa décision » (Civ, 3ème, 15 février 2011, n° 10-14003 ; Civ, 3ème, 15 janvier 1992, n° 90-13865).
Encore faut-il que le maintien du locataire dans les locaux durant l'intersaison ne résulte pas d'une simple tolérance de la part du bailleur, tolérance considérée expressément comme telle par les parties (Civ, 3ème, 19 avril 2005, n° 04-12064).
Si l'on souhaite donc prévenir le risque d'une requalification du contrat saisonnier en bail commercial statutaire, il conviendra d'être très attentif durant la période de l'intersaison et veiller à ce que le propriétaire des locaux en retrouve alors la pleine possession.
La convention d'occupation précaire
La convention d’occupation précaire a été créée par la pratique pour échapper aux règles impératives du statut des baux commerciaux relatives à la durée des baux, la modération du loyer en constituant la contrepartie. La jurisprudence a admis cette pratique dans les années 1960 et l'a encadrée dans une certaine mesure. Plus récemment, la loi a consacré cette jurisprudence.
Un arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2003 (n° 02-15887) donne une définition précise et didactique de ce que doit être une convention d'occupation précaire : « ...que la convention d'occupation précaire se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est marqué par d'autres causes que la seule volonté des parties ». Cet arrêt poursuit en relevant que la convention ne mentionnant pas les circonstances exceptionnelles marquant son terme, cette convention, bien que qualifiée convention d'occupation précaire par les parties, constitue en réalité un bail dérogatoire de l'article L. 145-5 du Code de commerce.
A titre d'exemple d'une convention d'occupation précaire jugée valablement établie, on peut se référer à un arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2000 (n° 97-13752) : « ... qu'ayant constaté que la commune intention des parties, résultant de dispositions expresses du contrat, avait été de conclure non un bail commercial mais une convention d'occupation précaire, convention qui s'imposait compte tenu de la situation exceptionnelle du terrain dans la proche périphérie de la ville de Decazeville où, dans le meilleur intérêt de la population de la commune, il était envisagé de créer une zone industrielle destinée aux petites et moyennes entreprises et industries, que le prix était constitué d'une très modeste redevance pour un terrain d'une surface de près d'un hectare " urbanistiquement et économiquement stratégique ", que la durée de la location portée à cinq ans n'ôtait nullement à celle-ci sa précarité et manifestait seulement le souci de la commune de permettre à la société Unibéton de rentabiliser ses investissements, étant précisé que le renouvellement du matériel de celle-ci mettrait fin automatiquement au contrat, la cour d'appel a pu déduire, de ces seuls motifs, que cette convention n'était pas soumise au statut des baux commerciaux ».
On peut également se référer à un arrêt du 14 novembre 2019 de la Cour de cassation (n° 18-21297) : « ... qu'ayant relevé que, depuis l'origine des relations contractuelles, le sort de l'immeuble, dont la destruction avait été évoquée plusieurs fois, était lié à la réalisation par la commune d'un projet de réhabilitation du centre ville et que les lieux loués n'étaient pas destinés à rester pérennes, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties et permettant de retenir la qualification de convention d'occupation précaire, a exactement déduit, de ces seuls motifs, que le statut des baux commerciaux n'était pas applicable » (pour une autre illustration d'une convention précaire correctement établie : Civ, 3ème, 29 avril 2009, n° 08-13308).
Ainsi, il apparaît que la durée de la convention d'occupation précaire importe peu, dès lors que l'occupation des lieux n’est autorisée qu’en raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée dont le terme est marqué par d’autres cause que la seule volonté des parties, ce que la jurisprudence désigne comme un « motif légitime de précarité » (Civ, 3ème, 9 novembre 2004, n° 03-15084). Par exemple, le projet de cession par le locataire de son fonds de commerce ou droit au bail n'est pas un motif légitime de précarité (Civ, 3ème, 12 décembre 2019 n° 18-23784 ; Civ, 3ème, 7 juillet 2015 n° 14-11644).
Ce type de convention existe, avec les mêmes caractères, en matière d'habitation (Civ, 3ème, 29 avril 2009, n° 08-10506). En revanche, la convention d'occupation précaire du domaine public d'une collectivité publique relève d'un régime bien différent.
Le nouvel article L. 145-5-1 du code de commerce, créé par la loi Pinel de 2014, est venu codifier cette jurisprudence dans les termes suivants : « N'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».
Pour éviter tout risque de requalification par les juges du fond, la convention d’occupation précaire doit non seulement stipuler une cause objective de précarité, qui se réalisera ou pas, mais encore une contrepartie financière significativement inférieure au prix de marché (désignée comme une redevance et non comme un loyer puisque cette convention n'est pas un bail). Mais l'occupation ne peut pas être consentie à titre gratuit, auquel cas la convention serait requalifiée de plein droit commodat.
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