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Acquisition par un agent immobilier du bien qu'il a reçu mandat de vendre



Depuis 1804, le code civil dispose que les mandataires ne peuvent acquérir un bien immobilier qu'ils ont reçu mandat de vendre (article 1596). La règle vaut quelle que soit la nature du mandat, exclusif ou non, et quelle que soit la nature de la vente, par adjudication ou de gré à gré. Or, l'agent immobilier n'agit qu'en la qualité de mandataire du vendeur.


Le code de déontologie des agents immobiliers (Décret n° 2015-1090 du 28 août 2015) réitère la prohibition à son article 9, consacré aux conflits d'intérêt avec le mandant que le professionnel doit prévenir. L'agent immobilier s'oblige « A ne pas acquérir, en partie ou en totalité, ni faire acquérir par un proche ou un organisme quelconque dans lequel elles détiendraient une participation, un bien immobilier pour lequel un mandat leur a été confié, sauf à informer leur mandant de leur projet ».


1. Une jurisprudence abondante illustre cette très ancienne prohibition (notamment : Civ, 3ème, 12 décembre 2000, n° 98-20086, Publié : conformément à l'article 1596, alinéa 3, du Code civil, est nulle la vente à une personne, bénéficiaire d'une procuration générale pour notamment vendre ses immeubles, d'un immeuble appartenant à son mandant. Ou encore : Civ, 1ère, 2 octobre 1980, n° 78-12440, Publié.


L'interdiction s'applique lorsque le mandat confié à l'agent immobilier est un mandat d'entremise, exclusif ou non, ce qui est la règle générale en l'état des textes et de la jurisprudence (Civ, 1ère, 5 février 2020, n° 18-26808), mais aussi, et a fortiori, lorsque le mandat est de représentation, donnant au mandataire le pouvoir d'engager son mandant vis à vis d'un acquéreur (Civ, 1ère, 13 avril 1983, n° 81-16728 Publié).


Elle s'applique même si la vente se fait au prix fixé par le mandant. Notamment, Civ, 1ère, 27 janvier 1987, n° 84-16113 Publié : l'interdiction faite au mandataire d'acquérir par lui-même ou par personne interposée le bien qu'il est chargé de vendre s'applique même si la vente se fait au prix fixé par le mandant. Est donc légalement justifié l'arrêt qui annule l'achat fait par un agent immobilier de l'immeuble qu'il avait reçu mandat de vendre ».


L'interposition de personne, par exemple l'acquisition étant réalisée par une personne morale ayant pour dirigeant le mandataire, n'est en aucun cas de nature à régulariser la vente. Notamment : Civ, 3ème, 2 juillet 2008, n° 07-15509 Publié : une cour d'appel ne peut, pour rejeter une demande d'annulation de l'achat fait par un agent immobilier de l'immeuble qu'il avait reçu mandat de vendre, se limiter à retenir que le mandataire et l'acquéreur sont deux personnes morales distinctes, sans rechercher si l'agent immobilier n'a pas acquis l'immeuble par interposition de personne ».


Ou encore : Civ, 1ère, 17 juin 1986, n° 84-15398, Pubié : dès lors qu'elle relevait que la société à laquelle mandat de vendre avait été donné et la société acquéreur, étaient animées et dirigées par les mêmes personnes, possédant aussi le capital social, et que ces sociétés avaient leur siège à la même adresse où se déroulaient leurs activités, une cour d'appel a pu en déduire que la société mandataire, en la personne de ses associés avait acquis, par personne morale interposée, le bien qu'elle était chargée de vendre ».


Dans la même veine, il a été jugé par un arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris 2ème chambre - section A, 24 avril 1990) que la prohibition s'étend au conjoint du mandataire, présumé alors prête-nom de l'agent immobilier. La Cour de cassation a retenu que peut caractériser une interposition de personne l'acquisition du bien par les parents du mandataire, lequel est leur héritier (Civ, 3ème, 16 mai 2019, n° 18-17772).


Mais l'interdiction ne s’applique pas au négociateur salarié d'une agence immobilière qui a acquis le bien pour son propre compte et non pour celui de son employeur (Civ, 1ère, 18 juin 2014, n° 13-18.010).


L'interdiction s'applique même si le bien à vendre n'appartient pas au mandant. Ainsi, le mandataire chargé de recouvrer une créance et qui poursuit la vente judiciaire, ne peut se porter adjudicataire de l'immeuble saisi (Civ, 1ère, 19 décembre 1995, n° 93-10582 Publié).


En revanche, la prohibition ne s'applique que pendant la durée d'exercice du mandat pour vendre. A son expiration, l'agent immobilier peut légalement acquérir le bien.


2. La sanction est en principe celle de la nullité de la vente. Toutefois, la nullité encourue est une nullité relative et non pas absolue. Il en découle des conséquences importantes.


On rappellera qu'aux termes de l'article 1179 du code civil : « La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général. / Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d'un intérêt privé ».


Une nullité relative ne peut être poursuivie que par la partie que la loi entend protéger (article 1181, alinéa 1 du code civil).


Ici, la personne protégée est le vendeur du bien, et mandant l'agent immobilier. Seuls pourraient vouloir se plaindre de l'acquisition d'un bien immobilier par le mandataire, son mandant, ou ses héritiers (notamment Civ, 1ère, 29 novembre 1987, n° 87-10011 Publié). En revanche, l'acquéreur évincé ne pourra pas poursuivre la nullité de la vente, mais il pourra, s'il a lieu de se plaindre d'un préjudice résultant du comportement fautif du mandataire, agir en réparation des conséquences de cette faute.


Le délai de prescription de l'action du mandant est de 5 ans à compter de la conclusion du contrat ou de celle de la découverte du vice l'affectant (article 2224 du code civil).


3. De ce caractère de nullité relative, il découle encore que le mandant peut choisir de couvrir la nullité de la vente réalisée en violation de l'article 1596, en la confirmant.


L'article 1182 du code civil définit la confirmation ainsi : « La confirmation est l'acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce. Cet acte mentionne l'objet de l'obligation et le vice affectant le contrat. / La confirmation ne peut intervenir qu'après la conclusion du contrat./ L'exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation (...)/ La confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés, sans préjudice néanmoins des droits des tiers ».


Cependant, l'article 1181 du code civil précise que si l’action en nullité relative a plusieurs titulaires (des indivisaires par exemple), la renonciation de l’un n’empêche pas les autres d’agir.


Selon une jurisprudence ancienne et constante, la confirmation d'un acte nul exige en même temps la connaissance du vice qui l'affecte, et la volonté de le réparer. Cette confirmation procède ou des mentions portées dans un acte, ou de l'exécution volontaire de la cession du bien, en connaissance du vice qui l'affecte (Civ, 1ère, 31 août 2022, n° 21-12969).


Ainsi, l'acquisition d'un bien par le mandataire chargé de le vendre est en réalité possible, pourvu que le mandant y consente de manière complètement éclairée. Il peut être envisagé d'introduire dans le compromis de vente et l'acte authentique une clause explicite selon laquelle le vendeur déclare être parfaitement informé que la vente contrevient aux dispositions de l'article 1596 du code civil et de la nullité relative qui s'y attache, mais qu'il entend expressément la confirmer en application des articles 1181 et 1182, accepte librement la vente et renonce à toute action contre l'acquéreur.

Si le vendeur, informé ou non de la nullité relative affectant la vente, demeure sans réaction, ce qui est de nature à créer de l'insécurité juridique pour l'acquéreur puisque l'action en nullité se prescrit par cinq ans, il peut être judicieux de procéder par la voie d'une action interrogatoire.


L'article 1183 du code civil, créé par la réforme de 2016, énonce que : Une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. La cause de la nullité doit avoir cessé. / L'écrit mentionne expressément qu'à défaut d'action en nullité exercée avant l'expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé ».


4. Si les choses ne se passent pas aussi bien et que le juge est saisi pour prononcer la nullité de la vente, on peut ajouter que le principe général propre au mandat, selon lequel le mandataire répond des fautes commises dans l'exécution de son mandat (articles 1991 et 1992 du code civil) peut venir aggraver sérieusement la position de ce mandataire. Outre la nullité de la vente, la faute commise par le mandataire qui a acheté le bien qu'il était chargé de vendre, peut engager sa responsabilité civile et l'obligation de réparer les préjudices le cas échéant causés à son mandant (notamment Civ, 1ère, 29 novembre 1988, n° 87-10011, Publié).


En outre, la responsabilité du notaire qui a instrumenté une vente nulle pour violation de l'article 1596 du code civil, peut être engagée (Civ, 1ère, 10 janvier 1995, n° 92-21730 Publié : en sa qualité d'officier public, le notaire est tenu de conseiller les parties et d'assurer l'efficacité des actes passés. A ce titre, il doit refuser de donner l'authenticité à une vente de parcelles de terrains illicite, pour avoir été conclu en violation de l'article 1596 du Code civil, au profit du mandataire des vendeurs chargé par eux de les vendre, ce dont le notaire avait connaissance. La circonstance que l'acquéreur ait eu l'initiative de l'illégalité commise ne peut à elle seule exonérer le notaire de sa faute et faire obstacle à la recherche de sa responsabilité ».


5. L'annulation de la vente d'un bien immobilier a pour conséquences nécessaires la restitution du prix par le vendeur, et, le cas échéant, la restitution des loyers ou fruits perçus par l'acquéreur.


Toutefois, il a été jugé (Civ, 3ème, 11 février 2021 n° 20-11037 Publié) que « si la restitution des fruits générés par le bien depuis la vente constitue une conséquence légale de l'anéantissement du contrat, le juge ne peut la prononcer d'office, dès lors qu'en application des dispositions des articles 549 et 550 du code civil, une telle restitution est subordonnée à la bonne foi du possesseur » (dans le même sens : Civ, 1ère, 6 février 2019, n° 17-25859 Publié).


La restitution des fruits doit donc être demandée au juge et ne peut l'être que si l'acquéreur évincé est de bonne foi. La règle découle de l'article 549 du code civil, selon lequel : « Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique... ».


Dans le cas d'un bien immobilier acquis par le mandataire du vendeur, cet acquéreur serait nécessairement de mauvaise foi, puisque le possesseur n'est de bonne foi que lorsqu'il possède en vertu d'un titre dont il ignore les vices (article 550 du code civil).


Enfin, il est acquis en jurisprudence que la restitution des loyers et des dépôts de garantie prononcée à la suite de l'annulation d'un contrat de vente ne constitue pas un préjudice indemnisable, que le notaire, par exemple, pourrait devoir garantir à l'acquéreur (Civ, 3ème, 29 septembre 2016, n° 15-15129, Publié).


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